L'AVENTURE COMMENCE A L'AURORE
1359 : 5, Kythorn
Le soleil pointe déjà haut dans le ciel tandis
que la foule se presse autour des chariots bigarrés déployés le long de la place du marché. Rires et clameurs emplissent la petite bourgade de Valperdu d’ordinaire si calme.
La route des adolescents croise celle de Hegger, aventurier chevronné en
charge par la communauté de gérer les relations commerciales avec la caravane.
Selon un rite immuable sa première question concerne systématiquement le taux
de fréquentation de l’auberge. Gidéon lui précise qu’hormis le chef de la
caravane nommé Triaphe qui chaque mois y descend pour la nuit, personne d’autre
actuellement n’a loué de chambre. À ces mots, Nelson ne peut s’empêcher de
penser à la rumeur qui court de par le village. La jeune sœur de Gidéon ressemble bien peu à son frère et sa mère. En revanche son teint et sa chevelure
rappellent tant la Sembie…. Passé cet interrogatoire qui consiste plus en un tic de
curiosité qu’autre chose, le visage du chef de la paisible communauté semble se
rembrunir.
« Les jeunes, le vieil ermite n’est toujours
pas parmi nous. C’est étrange, d'ordinaire il ne rate jamais la venue des
marchands. Je souhaite que vous alliez à sa rencontre voir si
tout se passe bien. »
Gidéon fronce les sourcils. Maintenant qu'il y pense, Horgon, le drôle de gars ou le pauvre type, comme les jeunes gens l'appellent entre eux, n'est pas venu s'attabler à l'auberge, chose qu'il fait immanquablement même si Gidéon évite sa présence tant l'odeur pestilentielle de son chien de compagnie et les puces qu'il transporte le révulsent. Passé un moment de flottement, les cinq jeunes hommes regardent Hegger, sidérés.
George, le jeune novice de Chauntéa prend la parole en premier.
« Et comment veux-tu qu’on fasse,
nous ne savons même pas où il crèche ?
- Il n’a
peut-être tout simplement pas envie de venir aujourd’hui. » compléte Gidéon.
Mais tous savent pertinemment que l'aventurier à la retraite, vient chaque mois visiter le mutique homme des
bois et règle systématiquement son repas à l’auberge.
« Ca va, ça va, l’ancien, n’nous regarde pas
avec cet air de travers. On va aller t'le chercher ton sauvage. Mais va nous
falloir quelques informations. » poursuit Tuskan.
Quelques minutes plus tard, devant un verre de lait de chèvre tiède à
l’auberge notre compagnie tourne et retourne dans tous les sens les indications
fournies par le négociateur.
« J’y crois pas, dix kilomètres à se tasser dont huit en
pleine forêt, il a perdu la tête l'chef ! Aucun de nous ne s’est jamais
aventuré si loin dans les bois. Il veut notre peau, le saligaud ! »
tonne Nelson.
« Et que dire de ce dessin débile qu’il a
griffonné et qu’on est censé retrouver tous les cinq cents mètres pour nous indiquer la
route à suivre. Sûr, il décaroche grave ! » poursuit Victor.
« N’empêche on lui a promis de vérifier que
tout va bien et c’est ce qu’on va faire. L’ermite a peut-être besoin d’aide et
Hegger compte sur nous. » coupe l’officiant de Chauntea.
Dans les minutes qui suivent, la petite troupe s’active pour se procurer boisson, victuailles et nécessaire pour passer une
éventuelle nuit à l’extérieur. Les commentaires acerbes sur l'extrême parcimonie avec laquelle le fils de l'aubergiste dote le groupe en vivres fusent de toutes parts. Des galettes de blé et quelques saucissons bien durcis par le temps sont tout ce que le village peut se permettre de fournir. «Avec la menace de la sécheresse, je ne peux pas faire mieux » s'empresse de justifier Gidéon sans convaincre ses camarades. Tuskan décide pour sa part d’emprunter Tika la
mule de son maître en pension dans l’étable du palefrenier. George, lui collecte les plantes médicinales et les bandages disponibles dans la chapelle. Une fois équipés en cordes et en torches grâce à Victor et à Nelson, le groupe se met en route.
La première partie du chemin, au soleil, se passe
dans la bonne humeur et les taquineries, mais au fur et mesure que les bois se
rapprochent, la tension se fait palpable. Les deux kilomètres de zone défrichée
qui bordent le village au nord forment pour chacun l’extrême limite de leur
horizon. Et que dire de la forêt et de ses légendes plus sombres les unes que
les autres. Les bravades de nos aventuriers en herbe cèdent bientôt le pas à un
silence rompu fugacement par les quintes de toux de Gidéon ou les plaintes de
Tuskan qui décidément manque d’exercice.
Un étrange jeu de piste commence tandis que les
adolescents se mettent en quête de la rune censée les guider entre les
arbres. Et à ce petit jeu, c’est Victor qui excelle. Régulièrement il est le
premier à localiser les signes qui se dissimulent tantôt sur une pierre, tantôt sur un vieux chêne. Ses
talents de pisteur rassurent le petit groupe qui se prend à rêver d’un retour
rapide dans son village avant la tombée de la nuit. Jusqu’à ce qu’à se rendre à
l’évidence, faute d’avoir raté un indicateur, la bande erre à
l’aveugle dans l’immense forêt.
Alors qu’ils s’espacent de façon à mieux explorer
la zone, Tuskan et Nelson interpellent leurs camarades. Ils jurent avoir vu
briller quelque chose à la faveur d’un rare rayon de soleil franchissant la
canopée. Victor, à la suite de leurs indications, découvre un cadavre usé par
les années et recouvert de mousse. Néanmoins son épée demeure comme neuve, ce
doit être l’origine du reflet de lumière.
S’engage alors un débat entre ce dernier et
Tuskan sur la conduite à tenir. Le premier souhaite conserver la lame, tandis
que le second prône la remise aux aînés du village pour la revendre. Pendant ce
temps, Gidéon déniche au côté du défunt quelques pièces d’argent ternies,
ostensiblement elfiques. Le groupe s’émerveille de la fortune sur
lequel il vient de faire main basse. À ce moment, Tuskan se fige :
« Bon sang, les gars, on dirait une grotte ! ».
Et effectivement, à quelque distance, à moitié
dissimulée par la végétation ambiante, à flanc de déclivité, s’ouvre une
ouverture dans la paroi. Une approche prudente révèle un aspect assez large
pour le passage d’un homme.
« Je pense qu’on a trouvé la cachette du
vieux fou » clame George.
« Parce que tu crois qu’il vivrait dans une
grotte humide et pourrie avec un cadavre pour paillasson. » raille Nelson.
« Et qu’il adore les araignées de compagnie.
Matez moi l’épaisseur de ces fils. » frissonne Tuskan. « Hors de question, que je me
risque là-dedans ! On s’est planté, on rebrousse chemin ».
Malgré les remarques acerbes de ses comparses
sur son courage et la perfide insinuation de Victor quant à la présence à
coup sûr de fabuleux trésor et d’antiques connaissances, étonnement tout le
groupe emboîte le pas de l'apprenti magicien qui tente de retrouver le chemin suivi pour
arriver jusque-là. Tout en prenant soin d’accrocher aux branches quelques bribes de tissus
pour permettre éventuellement d'y revenir plus tard.
Bien lui en a pris car, à quelque distance, il
retrouve la rune d’orientation et la troupe peut reprendre sa quête.
Jusqu’à ce
que des jappements furieux la figent sur place.
Un concert de grognements canins se mêle à
d’étranges rires mâtinés de hurlements stridents. Interdits nos jeunes héros ne
savent que faire. Le groupe remonte le vacarme pour déboucher sur une clairière
où cinq étranges créatures, croisements de reptile et de chien prennent un malin
plaisir à torturer de leurs lames rouillées le vieux Folle Patte, le sac à puces d'Horgon, adossé à un
majestueux chêne d’une taille tout bonnement phénoménale. Tuskan rompu aux
bestiaires de son mentor pense identifier les créatures : « Des kobolds. Ce
sont des créatures bien trop dangereuses pour nous! ». Alors qu’à messe
basse, nos amis s’interrogent sur ce qu’ils peuvent faire, un coup
d’épée mal ajusté vient heurter l’arbre au lieu de sa cible. Un cri de douleur
manifestement féminin s'élève alors depuis les frondaisons. C’est le moment que
choisit Nelson pour quitter le havre du couvert pour
charger en hurlant les vils démons. Son idée première est de créer un tel
raffut que les créatures terrorisées prendront leurs jambes à leur cou. Mais
son irruption est interprétée par ses collègues comme l’heure des héros. George et Victor s’élancent à sa suite, tandis que Gidéon se glisse dans la végétation pour prendre les ennemis à revers. Comme son intention initiale n’était nullement
d’engager les kobolds, le fermier est très vite débordé par la horde vociférante. Très vite, tous les aventuriers se retrouvent face à un adversaire. Tous ? Non. Tuskan conscient de ses talents de bretteur
prend le temps de ligoter Tika à un arbre, de s’équiper de sa fronde et de
sortir prudemment du sous-bois.
Dans la clairière s’ensuit une mêlée
indescriptible. Malheureusement juste avant qu’ils ne volent à son secours,
Folle Patte, victime d’un vicieux coup d’estoc, expire. Au jeu de la guerre,
Georges et Nelson rivalisent de prouesses, abattant chacun une créature qui de
son bâton, qui de sa faux. Puis soudain ce dernier décide de sortir du pugilat
pour aller se caler à l’arbre plusieurs fois centenaire et hurler que personne
n’y toucherait de son vivant ! La plus grande confusion prévaut. Alors que Victor, de sa belle lame, transperce de part en part un adversaire, Georges fracasse la hanche d’un de ses collègues qui s’effondre dans
un gémissant plaintif, . C’est plus qu’il n’en faut pour le dernier adversaire qui, esquivant les coups endiablés de Nelson, bondit vers le couvert des arbres.
Tuskan tente bien de stopper sa course d’une bille de pierre, mais peine
perdue, le projectile manque complétement sa cible qui disparaît. Le calme revient dans le
sous-bois.
Avant qu'une nouvelle altercation ne brise la paix retrouvée. Nelson refuse toujours catégoriquement de quitter son tronc, sous les
insultes de ses amis qui ne comprennent pas quelle mouche l’a piquée.
Une conversation dans un langage inconnu jaillit
alors depuis la cime de l’arbre. A une douce voix féminine répond celle d’un
homme. Malgré le caractère mélodieux de la conversation, il semble clair qu’une
querelle anime les deux personnages. Très vite, les débats se taisent et le
vieil ermite, objet de le quête des jeunes gens de Valperdu, se laisse glisser depuis les branches. Lui d’habitude si gauche
semble très à l’aise dans ses déplacements.
Sans prendre le temps de répondre aux questions
qui fusent des lèvres des adolescents, il s’approche de la dépouille de son fidèle animal de compagnie pour lui adresser quelques caresses. Puis, il se redresse
et remercie le groupe qui l’a tiré d’un très mauvais pas.
« Sûr, ces monstres t’auraient haché menu sans mon intervention » lâche Nelson qui est toujours frénétiquement adossé au chêne.
Un sourire amusé illumine brièvement le visage de l’homme.
« Certainement, certainement, mais mon destin prenait un tour bien plus
funeste ».
Sur ces énigmatiques propos, Horgon déclame des propos incompréhensibles dans
la langue entendue plus tôt et depuis les hauteurs de l’arbre la voix féminine
lui répond. Nul besoin de comprendre la teneur de la conversation pour deviner
que reprend la dispute précédente. Au ton de la voix de l’ermite, il semble emporter
la joute. Et quelques instants plus tard, une créature des plus étranges et des
plus sensuelles descend du feuillu. On dirait une elfe à la délicate peau hâlée, et aux longs cheveux verts avec des
feuilles en guise d’atours. Les jeunes garçons sont subjugués.
« Je vous présente, Ephemei la dryade » glisse l’ermite.
« Cette "charmante" créature, installée dans ce chêne depuis
peu, à mon insu, m’avait ensorcelée et je me destinais à passer ici les
prochaines années de ma vie en esclavage. Mon pauvre Wicky, bien incapable de
me rejoindre dans les branches s’en trouvait réduit à m’attendre au sol, en
vain. L’irruption des kobolds et votre propre intervention m’ont sauvé. La
dryade noue un lien fusionnel avec l’arbre qu’elle occupe. Tout coup porté au
végétal, la blesse. Elle a donc relâché son emprise sur moi pour prendre le
contrôle de votre pauvre ami. Ah oui, où ai-je la tête, il faut que je lui
ordonne de le libérer ».
Et dans l’instant l’étrange conversation reprend. La créature sylvestre
semble refuser d’obtempérer, mais le vieil homme se fait de plus en plus
pressant et bientôt, visiblement, elle cède. Nelson. tout hébété semble redevenir lui-même
tandis que la belle, visiblement courroucée, remonte dans son foyer. Tandis que
Tuskan résume sommairement la situation à son comparse, Nelson, dénie en
bloc, commence à tenter d’emboîter le pas à sa geôlière et jure qu’ils s’aiment d'un amour sincère et profond sous l'œil moqueur de l'assemblée.
« Descend de là gros balourd, elle va te prendre de nouveau dans ses
filets !
- Jaloux, tu ne nous empêcheras pas de vivre notre amour.
- Par les dieux, m’étonne qu’elle t’ait choisi. Ensorceler un écervelé,
c’est du cousu main. Descends p…
- Jamais, je la rejoins pour toujours ! ».
Le jeune homme a juste le temps d’accéder à une vaste plateforme en bois
qui abrite tout un mobilier que tonne la voix de l’ermite.
« Cette fois ça suffit, mon garçon. Rejoins-nous immédiatement ou, si je monte
te chercher, tu feras moins le fier ».
Pour le plus grand étonnement de ses amis, la menace porte ses fruits, et
un Nelson un peu penaud repose pied sur le plancher des vaches.
« Allons,
ne nous attardons pas plus longtemps. Qui sait, les kobolds pourraient revenir
en nombre, ou pire, elle pourrait réviser ces plans. Aidez-moi à porter mon bon
Wicky et filons jusqu’à ma chaumine. Vous m’expliquerez en route ce que,
Sylvanus vous garde, vous fichez aussi loin dans ces bois. J'ai aussi des choses à vous dire».
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