Campagne de Valperdu - La musique adoucit les mœurs
Chapitre précédent
« Vous avez désintégré les gamins, vous allez le regretter, par les dieux ! » hurle Kasthandur.
La menace, pas plus que les vertus protectrices de la bougie ne semblent impacter la créature qui se dirige sans la moindre hésitation vers le nain qui le défie. Le fracas des armes résonne tandis que le nain et Georges affrontent le mort-vivant. Les deux compères, horrifiés par la disparition de leurs camarades, rendent coup pour coup et refusent de céder le moindre pouce de terrain. Alors que la créature cingle le poitrail de l’humain, ses fluides vitaux, au lieu de retomber au sol, semblent flotter, comme en sustention, puis se dirigent vers l’orbe noire qui les aspire. Gidéon, resté en retrait, tache de prendre le mort-vivant en tenaille. Provoquée de toutes parts, la créature finit par s’effondrer. Le roublard en profite pour ramasser son anneau rouge, puis, armé d’une torche, se dirige vers l’incunable. Le prêtre, de son côté, inspecte l’orbe derrière le trône. Gidéon n’a pas même le temps d’y jeter un œil qu’une créature ignée s’extrait de l’ouvrage pour lui infliger une cuisante brûlure qui lui laisse échapper un cri de douleur. Alerté, Kasthandur, qui s’activait à détecter d’éventuels passages secrets, fonce à la rescousse et les deux combattants renvoient rapidement le monstre dans son plan d’origine. Le bras encore rouge, le jeune larron irrité s’empresse d’embraser l’ouvrage qu’il juge impie. Il ne saura jamais qu’il vient d’incendier un grimoire empli de quantité de sortilèges….
Le bruit mat du bâton qui cingle le verre l’extirpe de son autodafé hypnotique. Georges s’attache à détruire le sombre artefact. Ses coups ne provoquent pas même un léger impact. Le nain lui intime de laisser faire les véritables guerriers, mais ses marteaux ne provoquent guère plus de résultat. Gidéon devant leurs vaines tentatives, les moque, mais ne peut qu’acquiescer à la théorie de Georges qui pointe que si l’objet lui a volé sa vie, il doit être, de même, la cause de la terrible corruption de la nature alentours.
« Tu dois avoir raison, mais arrêtez de vous échiner à rien. On a encore un mort-vivant à interroger pas loin. Il en sait peut-être plus sur le sort de nos compagnons ». Sans prendre la peine de lui répondre ses deux collègues ramassent leurs affaires à la hâte et emboîtent le pas du roublard, le visage empreint d’un froide détermination.
Dans le même temps, Nelson se matérialise à bonne hauteur, à la verticale d’une verte forêt qui s’étend à perte de vue. La force de gravité semble lui promettre un atterrissage terrible quand ses pouvoirs élémentaires se mettent en branle et lui assure une descente pleine de douceur. A peine le temps de remercier ses dieux que des cris déchirants venus de plus haut lui percent les tympans. Le guerrier planant est bien vite dépassé par un Victor bien moins chanceux qui, malgré ses gesticulations en tous sens, ne peut ralentir sa chute et va s’écraser à pleine vitesse en contrebas. Le choc est si violent que le voleur reste inerte au sol. La lente descente du guerrier lui paraît interminable. Dès qu’il touche enfin le plancher des vaches, il fonce au chevet de son ami qui bien qu’inconscient respire encore faiblement.
En plus des traces de l’impact, le pauvre est perclus de bouts de verre. Les fioles de son sac ont dû se briser dans la chute. Sans plus attendre le guerrier extirpe des potions de soins de son paquetage et fait boire le mourant. Chauntea en soit louée, ses plaies se referment, ses os se ressoudent et sa respiration s’accélère. Il ouvre bientôt un œil encore tuméfié et s’enquit de ce qui vient de leur arriver. L’éclairage du guerrier l’aide bien vite à recouvrer ses esprits. Mais il ne peut que frémir lorsque ce dernier lâche « ce qui s’est passé, je le sais. Quant à savoir où nous sommes…. Loin de la forêt morte si j’en juge la vigueur des feuillages qui nous entourent …
- Attends voir, je vais me hisser sur cet arbre. Je pourrais peut-être trouver quelques repères.
- T’es sûr de pouvoir ? Te rappelles-tu que tu viens de faire une sacrée dégringolade ?
- Ne t’en fait pas, Beshaba m’a assez enquiquinée pour des mois ! Je me sens en pleine forme.
Sans plus attendre, l’intrépide garçon entreprend d’escalader un imposant chêne. Parvenu à son sommet, il peut facilement identifier qu’ils se trouvent au nord de Hap. Avisant une rivière, il propose de la suivre. Il y a fort à parier qu’elle les mènera jusqu’à la petite cité d’Ephron.
Forts de ces données, les deux jeunes gens se rapprochent du cours d’eau et entreprennent de le descendre. À intervalles, Nelson crie le nom de ses compagnons perdus, sans plus grand succès que de faire détaller quelques animaux affolés. Mais bientôt, à quelque distance, un chant clair emplit la contrée. S’approchant à pas mesurés, ils découvrent dans une clairière, une jeune demi-elfe qui fredonne une aubade tout en caressant deux imposants loups. Ses longs cheveux d'un noir de jais cascadent jusqu’à ses reins, ses atours mettent en relief son corps finement ciselé, une harpe sur son flanc gauche fait le pendant de sa courte hache.
À quelques lieux de là (ou pas…), Tuskan se rematérialise à un mètre du sol pour un atterrissage en douceur. Il n’a pas guère le temps de rendre grâce à Azuth, patron des magiciens, d’avoir veillé sur son disciple qu’une voix cristalline incompréhensible jaillit sur ses arrières. Faisant volte-face, il se retrouve nez-à-nez avec une gracile jeune femme elfe dardant une flèche sur sa poitrine. Alors qu’il examine plus avant son interlocutrice, tout en faisant un geste de paix, la confusion le saisit. La ravissante créature, hormis ces vêtements champêtres, ressemble trait pour trait à celle du sarcophage dans la pièce qu’il vient de quitter bien involontairement.
« …, vous êtes la dame du cercueil ? »
Dans un commun hésitant la jeune elfe lui répond
« Qu’est-ce que tu racontes ? Et c’est moi qui pose les questions ! Je t’ai demandé ce que tu fais ici, jeune humain.
- Ben, j’étais dans la crypte au cercueil, le mort-vivant a incanté et je me retrouve ici. D’ailleurs c’est où ici ? Et vraiment vous lui ressemblez comme deux gouttes d’eau !
- Arrête de divaguer et explique-toi, sombre idiot ! Tu pillais une tombe elfique ? »
La surprise quelque peu passée, mais jaugeant que passer pour un hobereau benêt pourrait le servir pour l’heure, Tuskan détaille, tout en agrémentant son discours de moultes digressions que leur irruption dans le tombeau n’avait pas pour visée le pillage, mais bien de stopper un mal qui contamine les Collines bistres. Il exhibe alors le médaillon prélevé sur les squelettes. Confirmation il s’agit bien du clan familial de son interlocutrice.
Chacun décline ensuite son identité. L’elfe se nomme Equirel. Le mage apprend qu’il se trouve dans les profondeurs de Cormanthor et que sa vis-à-vis traque quelqu’un ou quelque chose. Elle veut retrouver cette créature avant de décider du sort de son prisonnier. En attendant celui-ci ouvrira la voie en gardant les mains bien levées. Tuskan fait mine de s’en offusquer et récriminant obtempère vaille que vaille. Chemin faisant il tâche d’en apprendre un maximum sur sa compagne de route et surtout ce qu’elle piste, tout en répondant le plus sincèrement possible aux questions qu’elle lui pose. Il comprend bien vite que la piste qu’ils suivent est celle de canidés. Et que leur proie longe le parcours sinueux d’une rivière.
« C’est un loup ou un chien qu’on poursuit ? » finit-il par lâcher à brûle-pourpoint.
« Quoiqu’il en soit, je pourrais vous aider, j’ai quelques tours dans mon sac, mais il me faudrait avoir la liberté d’agir. Et surtout goûter quelque repos pour compulser mon grimoire. J’ai bien peur qu’il ne reste guère de sorts offensifs en mémoire.
-Tu es plus malin que tu veux bien le montrer ». Le complimente son interlocutrice.
« Tu peux baisser les bras, mais hors de question de s’arrêter. Ton apparition m’a fait perdre assez de temps. On gagne du terrain, mais au vu de ce que cette chose a laissé derrière elle jusqu’ici, pas question de lui laisser reprendre de la distance. - C’est vous qui avez l’arme en main, comme on dit chez moi. À votre guise. Mais la journée a été riche en rebondissements, on a marché toute la journée, le soir tombe et mes jambes ne me portent plus. Sans parler de la faim qui me tenaille » grommèle le garçon. « Je crois sincèrement que vous commettez une méprise.
- Silence, impertinent ! Quel âge as-tu pour pouvoir jauger que les uns ou les autres font fausse route ! Et comme tu dis, c’est moi qui manie l’arc. » Mais malgré elle, la jeune elfe ne peut s’empêcher de sourire discrètement. Un hurlement bestial à glacer le sang retenti, bientôt repris en chœur par d’autres, efface bien vite son sourire.
Un peu plus tôt, Nelson et Victor depuis leur point d’observation échangent des regards interrogateurs. Faut-il entrer en contact avec la ravissante créature ? Le destin ne leur laisse pas le soin de trancher. Les grognements des deux loups dans leur direction ne laissent planer aucun doute. Leur position est connue. Un rire léger monte vers les arbres.
« Approchez jeunes gens. Les cris que vous lancez à intervalles et le bruit de vos bottes font que je sais votre présence depuis un moment. Seriez-vous perdus dans ces magnifiques bois ? N’ayez aucune crainte mes fidèles compagnons se montreront des plus amicaux, … tant que je leur en donne l’ordre. Ne soyez pas timides, sortez de votre cachette et venez vous présenter. Je suis Mirel la barde et serais ravie de pouvoir converser avec vous. J’ai beau aimer les animaux, les conversations poussées me manquent quelquefois. »
Haussant les épaules à Victor qui le questionne du regard, Nelson se relève de son taillis et s’avance vers la chanteuse, suivi de près par le roublard. Parvenus à quelques mètres de distance, les grognements rapprochés des deux carnassiers leurs font porter la main au fourreau, sous le regard amusé de leur hôtesse.
« Allons, ne laissez pas la bile vous envahir, mes agneaux. Mes gardes sont un tantinet protecteur ». Elle se baisse, leur murmure à l’oreille et les deux créatures, toujours grognant, s’éloignent de quelques mètres.
Les présentations sont esquissées. Mirel s’enquit de leur état et leur propose de leur servir de guide jusqu’à Hap. Un repas est partagé, la route reprise, des morceaux de vie échangés. Nelson toujours prompt aux rodomontades y trouve un terrain favorable et multiplie les récits de ‘ses’ exploits personnels sous les applaudissements nourris de la demi-elfe, qui en redemande. Elle commence à composer des odes à la gloire du héros du Valbataille. Les loups pour leur part, s’ils ne se laissent pas approcher semblent gagnés par la bonne ambiance régnante.
Alors que le soir se rapproche, la joyeuse compagnie se fixe dans une clairière à proximité du cours d’eau vive, dresse le campement et, après un frugal repas, Mirel se propose de jouer les premiers couplets de la geste de Nelson. La mélopée débute, la merveilleuse voix de Mirel s’élève et le ravissement gagne l’auditoire tandis que les loups se rapprochent pour se lover aux pieds de leur maîtresse. Les deux garçons sentent une douce torpeur les envahir et Victor ferme bientôt les paupières. Une voix intérieure alarme bientôt le guerrier, on use de magie à son endroit. S’arrachant de sa somnolence, Nelson s’ébroue, secoue son ami pour le réveiller et jette un regard mauvais à la barde. Narquoise, elle soutient son regard sans broncher et interrompt sa mélodie.
« Tu es vraiment encore plus idiot que je ne le pensais, Nelson le bravache. Je t’offrais une mort douce, tu optes pour la douleur. À l’attaque mes anges. Que le festin commence !» Se relevant promptement les deux prédateurs s’avancent en grognant vers leurs proies. Les deux jeunes s’emparent de leurs armes. Les belligérants se jaugent. À quelques pas de là, dans la clarté blafarde de la lune, le souffle de la barde semble s’accélérer, devient soudainement haché, comme douloureux. Son corps, autrefois gracile et harmonieux, se cambre sous une tension insupportable. Sa peau perle de sueur avant de se tendre, se craqueler, comme si quelque chose poussait de l’intérieur pour la déchirer. Ses doigts tremblent, se recourbent, les ongles noircissent, s’allongent, deviennent des griffes. Elle pousse un cri — un son mi-humain, mi-animal — alors que ses articulations se déplacent, que ses os se brisent et se reforment dans un craquement sec. Ses yeux, autrefois d’un brun doux, brillent d’un éclat doré et félin, et sa mâchoire s’étire en un museau déformé, hérissé de crocs. Elle hurle de nouveau à la nuit et ses loups s’associent à sa mélopée sauvage.
À quelques mètres de là, Elquirel se fige, puis sans un regard pour Tuskan, file en direction du hurlement. Bien que privé de sorts, Tuskan s’élance sur ses talons. Entendre jaillir le cri de guerre de son fidèle ami « Nelson, Nelson, Ouais ! » lui redonne du courage. Mais la vision d’une créature mi-homme, mi-loup hurlant dans la clairière tandis que deux loups s’abattent sur ses camarades le rempli d’effroi. L’elfe, un peu en amont, ne s’embarrasse guère de ses considérations et lâche flèche sur flèche sur le monstre qui se rue furieux à sa rencontre. Une terrible mêlée s’enclenche.
« Tymora me protège. Sans sort, à quoi je peux bien servir, ne sachant même pas manier cette fichue bardiche. Et puis zut, que les Abysses me foudroient, tu deviseras plus tard, Tuskan ».
Dans un haussement d’épaule, le mage se porte au soutien de l’elfe. Ce qu’il pense être son plus beau coup à l’aide de son arme, ne rencontre que le vide. Son adversaire est bien trop puissant. Changeant de tactique, le jeune homme rompt le combat et se porte au secours de ses amis. Presque arrivé à leur hauteur, il constate que Nelson vient de finir son adversaire et s’apprête à se jeter sur celui d’un Victor en bien fâcheuse posture.
« Laisse, je m’en charge, occupe-toi du chef.
- Tuskan ? Que fais-tu ici ?
- Plus tard elle est dans de sales draps court la sauver
- Cette saleté d’elfe, j’en fait mon affaire !
- Euh non, surtout pas, elle est de notre côté ! C’est le garou dont tu dois t’occuper !».
Mais le guerrier ne l’écoute déjà plus et relâchant son cri de guerre, il fonce en direction des grognements et bruits de combat. Dès qu’il avise le monstre, il charge sans une once d’hésitation. Prise entre une habile sabreuse et un puissant combattant, Mirel passe vite de vie à trépas et Nelson s'accapare sa hachette finement ciselée. Le calme revenu, Tuskan introduit tout ce beau petit monde, tout en bandant les plaies de son comparse.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire